mange-t-on halal sans le savoir ?
La candidate du Front national affirme vouloir porter plainte pour "tromperie sur la marchandise" contre les enseignes franciliennes de la grande distribution qui, selon elle, vendent de la viande uniquement halal.
Sa déclaration, tenue à Lille lors de la convention du parti d'extrême droite, a provoqué des démentis en cascade pendant tout le week-end. Si son argument est faux, la production de viande halal en France dépasse très largement la demande de la communauté musulmane. Voici pourquoi.
1. Le halal définit les produits permis aux musulmans
Halal signifie "autorisé", "licite". Une viande est halal si elle correspond aux exigences de la religion musulmane. Celles-ci sont notamment définies dans la sourate 6 du Coran :
"Dis-leur : Je ne trouve, dans ce qui m'a été révélé, d'autre défense, relativement à la nourriture, que les animaux (trouvés) morts, le sang qui a coulé et la chair de porc ; car c'est une abomination, une nourriture profane sur laquelle fut invoqué un autre nom que celui de Dieu."
Comme chez les juifs, les animaux d’élevage doivent être soumis à des règles précises d’abattage pour que leur viande soit autorisée aux croyants.
L’animal doit être conscient au moment de l’abattage, tourné vers La Mecque et le sacrificateur doit prononcer "bismillah" ("au nom de Dieu") au moment où il égorge, en coupant carotide et jugulaires.
Les produits de la mer ne sont pas soumis à ces règles.
Par ailleurs, les musulmans sont autorisés à consommer des animaux abattus par des adeptes de religions du Livre (judaïsme et christianisme) et à manger des produits non halal quand ils souffrent de la faim.
2. D'après la loi, l'abattage rituel doit rester l'exception
En France, l’abattage rituel musulman doit être pratiqué par un sacrificateur agréé par l’un des organismes que le Ministère de l'Agriculture a lui-même habilités : la Grande Mosquée de Paris a été agréée par un arrêté de 1994, avant la mosquée d’Évry et la Grande Mosquée de Lyon. Les sacrificateurs agréés par ces mosquées peuvent percevoir la taxe islamique liée à l'abattage rituel.
D'après la législation européenne, cette forme d'abattage doit constituer l'exception et non la règle. En effet, une directive européenne de décembre 1993 sur la protection des animaux lors de leur mise à mort prévoit l’étourdissement des bêtes au moment de leur abattage par saignée. Cette directive prévoit une dérogation pour l’abattage rituel juif et musulman.
En France, un récent décret, de décembre 2011, a durci la réglementation sur l’abattage rituel : depuis son entrée en application, les professionnels de l’abattage sont tenus de disposer "d'un système d'enregistrement permettant de vérifier que l'usage de la dérogation correspond à des commandes commerciales". En clair, de faire en sorte que l'abattage rituel ne devienne pas la norme.
3. Mais en fait, l'abattage rituel dépasse largement la demande de la communauté musulmane
Pour Jean-Baptiste Galloo, vice-président de la Maison de l’Élevage d'Ile-de-France, "ce décret constitue un rappel de la loi, qui n’est pas respectée". Selon lui, les abatteurs pratiquent dans de nombreux cas l'abattage rituel à la place de l'abattage "classique", pour des raisons commerciales.
"On tue quatre fois plus d’animaux de façon rituelle que l’on en a réellement besoin. En France, 80 % des agneaux sont abattus de façon rituelle. Quand il reçoit un lot de 100 agneaux, un abatteur ne sait pas quelle proportion va être demandée par le réseau halal et souvent il va décider de tous les abattre de façon rituelle pour être tranquille", explique-t-il.
En clair, il pratique l’abattage rituel musulman parce qu'il sait qu'il pourra ensuite vendre cette viande à la fois dans le réseau de distribution halal et dans le réseau classique, alors qu'il ne pourrait vendre une viande non halal que dans le réseau traditionnel.
Ce qui est vrai pour l'agneau l'est aussi, dans une moindre mesure, pour le bœuf : le réseau de distribution halal est surtout preneur de morceaux situés à l'avant de l'animal. Les morceaux issus de l'arrière de l'animal peuvent se retrouver dans le réseau de distribution classique alors qu'il a été abattu selon le rituel musulman.
"Il ne faut pas stigmatiser la communauté musulmane, ajoute Jean-Baptiste Galloo. C’est le ministère qui est fautif quand il laisse les abatteurs aller au-delà de la demande. L'État met la tête sous l’aile volontairement."
4. Pas d'étiquetage particulier
La viande issue d'abattages rituels, qu'ils soient juifs ou musulmans, ne fait ensuite pas l'objet d'un étiquetage particulier. Les autorités considèrent qu'elle comporte les mêmes qualités qu'une viande issue d'un abattage standard.
Le 16 juin 2010, le Parlement européen a adopté une résolution concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires. En première lecture, le projet de loi comportait un amendement prévoyant que les personnes achetant de la viande devaient savoir si l'animal était ou non étourdi au moment de la mise à mort. Cet amendement a ensuite été retiré. Certains représentants des communautés juives et musulmanes y étaient opposés, y voyant une forme de discrimination.
5. Toutefois, l'argumentaire de Marine Le Pen sur l'Ile-de-France ne tient pas
Bien que de la viande halal se retrouve très fréquemment dans le réseau "traditionnel" de distribution, Marine Le Pen se trompe en affirmant que toute la viande distribuée en Ile-de-France est halal.
En effet, il ne reste qu’une poignée d’abattoirs dans la région. La majorité de la viande consommée provient d’animaux abattus dans le reste de la France. "Les abattoirs d’Ile-de-France fournissent 4 000 à 6 000 tonnes de viande, c’est-à-dire moins de 2 % de la consommation de la région", indique Jean-Baptiste Galloo.
Ramener la question de la viande consommée par les Franciliens à l'orientation des quelques abattoirs de la région n'a donc pas grand sens.
M. Galloo explique toutefois que "certains petits abattoirs de la région, notamment celui de Meaux, étaient municipaux par le passé et ont été vendus à des négociants en viande halal". Et si ces abattoirs fournissent essentiellement des réseaux de distribution "communautaires", "des bouchers traditionnels se trouvent parmi leurs clients. Ils n’ont pas le choix du mode d’abattage, car faire abattre les bêtes dans des abattoirs de province leur coûterait trop cher." On trouve donc bien de la viande halal sur les étals de bouchers "traditionnels".
Le ministre de l'Intérieur Claude Guéant a répondu à Marine Le Pen qu'"il y a en Ile-de-France des abattoirs qui sont habilités à faire des abattages selon le rite et qui sont destinés à une consommation spécifique" et bien "identifiée comme telle". Une répartie qui ne semble pas plus en phase avec les réalités que l’argumentaire de Marine Le Pen, qui se fonde sur l'exemple de tout petits abattoirs.
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