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Le Sud-Soudan, sitôt né, pense déjà à la guerre

 

Le Sud-Soudan a proclamé samedi formellement son indépendance lors d'une cérémonie officielle en présence de dirigeants étrangers. Plusieurs sujets de discorde opposent Juba à Khartoum.

L'horloge qui décompte les heures restant jusqu'à l'indépendance du Sud Soudan ne marche plus. Vendredi matin, la grosse machine aux chiffres rouges plantée en haut d'un mât métallique au milieu de l'un des rares ronds-points goudronnés de Juba, la capitale, affichait fièrement, avec presque un jour d'avance : zéro jour, zéro heure, zéro seconde. Certains veulent voir dans ce raté le symbole d'un État mal préparé à survivre seul, mal géré et dont l'avenir est loin d'être un chemin de roses.

Nathan Deng Ajei, quant à lui, marche à grands pas, sans même un regard pour le compte à rebours détraqué. Le jeune homme est tout à sa joie et à ses espérances, comme chacun à Juba : «C'est un grand jour. Nous sommes libres. Nous n'aurons plus à subir le regard des gens du Nord, qui nous méprisaient. On va pouvoir vivre, développer notre pays.» La naissance formellement proclamée samedi de «sa» nation, la 193e du monde, était sa seule obsession. En soi, cette indépendance n'est pas vraiment une surprise. Depuis janvier dernier, et un référendum d'autodétermination remporté par plus de 98 % des voix, la partition du Soudan était entérinée. Mais ce vote ne fut qu'une étape arrachée dans le sang, après dix-neuf ans d'une guerre civile (1983-2002) qui fit plus de deux millions et demi de morts.

«C'est le début du chemin»

Depuis l'aube de ce grand jour, la ville bruisse. Aux trilles des femmes répondent les chants des hommes, qui entonnent des airs traditionnels ou le vieil hymne de guerre We Shall Never Surrender («nous ne nous rendrons jamais»). Assis sur un bout de natte crasseuse posé dans un coin de la Maison des combattants, Yapgaï écoute en agitant ses moignons. Le vétéran a laissé ses jambes au combat quelque part dans la brousse, il y a près de quinze ans.

Aujourd'hui, il ne regrette rien. «C'était pour la liberté, pour la fin de l'esclavage et pour lui», murmure-t-il, secouant la broche à l'effigie de John Garang piquée dans ses hardes. Le visage chauve et barbu de Garang, le chef historique du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM), s'étale à chaque coin de la ville. C'est lui qui mena la lutte. Lui aussi qui signa, en 2005, l'accord de paix global (CPA) mettant fin aux hostilités. Il ne devait survivre que six mois à sa victoire, emporté dans un accident d'hélicoptère. Salva Kiir, son discret bras droit, désormais premier président du Sud-Soudan, a pris la suite sans parvenir à vraiment sortir de son ombre.

Samedi, c'est dans le mausolée du grand homme que se sont tenues les cérémonies de l'indépendance. Trente chefs d'État et pléthore de dignitaires au chevet du nouveau-né. Mais, derrière les sourires et les applaudissements protocolaires, sans doute beaucoup d'inquiétude. Car, dès dimanche, le Sud-Soudan plongera dans l'inconnu. «L'indépendance n'est pas l'arrivée, c'est juste le début du chemin», reconnaît Anthony Makana, le ministre des Transports sud-soudanais. Il serait difficile de le nier. Les routes demeurent rares et mauvaises.

L'enjeu du pétrole 

Avec 80 % d'analphabètes et 90 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté, le nouvel État est déjà l'un des plus pauvres du monde. «Le développement est très lent car le pays souffre d'un manque énorme de cadres compétents. Et les rares qui existent sont englués dans la corruption. Le Sud-Soudan risque d'être un État failli avant même d'avoir existé», analyse, un rien las, un diplomate en poste à Juba. «Nos relations avec le Nord sont plus difficiles que jamais», affirme quant à lui Rachid Badiker, un conseiller du secrétaire général du SPLM.

Le CPA a instauré une période transitoire de six ans pour préparer une division sans heurts de l'immense Soudan. «Dans les faits, depuis 2005, rien ou presque n'a été réalisé, souvent à cause de l'intransigeance de Khartoum», résume-t-on à ONU. La question de la nationalité est ainsi en suspens. «Il existe des textes qui définissent qui peut être sud ou nord-soudanais. Mais, faute d'état civil, c'est au libre arbitre de chacun, avec le risque que cela comporte», tranche un expert.

Le tracé de la frontière, longue de 2 000 km, reste flou. Y compris à Abyei. Cette enclave sudiste dans le Nord, âprement disputée, a été mise de côté lors du CPA et devait faire l'objet d'un règlement à part. Le référendum, prévu en janvier, a été reporté sine die. Derrière ces luttes se pose la question de l'accès à l'eau et au pétrole. Plus de 80 % des réserves pétrolières soudanaises se trouvent en effet dans le Sud. Mais les deux oléoducs qui permettent son exportation traversent le Nord. À ce titre, Khartoum exige de conserver 50 % de la manne et essuie un refus de Juba. Six ans de pourparlers à ce sujet n'ont permis aucune avancée. Alors, ces dernières semaines, quand l'inéluctable partition approchait, les armes se sont remises à parler. Le Sud-Soudan, tout juste né, doit déjà penser à la guerre.

 

source : Le Figaro



10/07/2011
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